Incompréhension !
… Nous venons d’un pays qui ne finit pas
de se faire, de se défaire, de se refaire. Coureurs de
fond, nous avons franchi cinq siècles d’histoire,
opiniâtres et inaltérables galériens. Nous avons
subsisté, persévéré sur les flots du temps, dans cette
barque putride et imputrescible à la fois, dégradable
et pérenne. Notre histoire est celle d’une perpétuelle
menace d’effacement, effacement d’un paysage,
effacement d’un peuplement.
… Et pourtant, nous franchissons la durée,
nous traversons le temps, même si le sol semble se
dérober sous nos pas. Malgré vents et marées, malgré
ce présent en feu, ce temps de tourments, cette éternité
dans le purgatoire, nous continuons à survivre en
nous livrant à d’impossibles gymnastiques.
Émile Olivier (Passages, 1991)
On devait s’y attendre. Il fallait qu’il parlât.
La première fois, il avait gardé silence. Il s’était vite
fait oublier. Incompréhensible. Cette fois il avait trop
senti le poids de l’incompréhension et il devait réagir.
Compréhensible. Un ami me passa un coup de fil pour
me donner la nouvelle. Je le savais. Je savais qu’il
allait vouloir s’expliquer cette fois, expliquer
l’incompréhension dont il s’était senti victime. Je n’ai
pu le lire que sur Internet. Je n’avais pas pu jouir de la
magie du direct, je n’avais pas pu sentir le stress
précédant la déclaration, je n’avais pas pu observer la
mise en scène, ni analyser le spectacle ni savoir ce qui
se passait dans les coulisses. Enfin, on ne peut pas
tout avoir, bien que nos hommes d’affaires croient
qu’en Haïti (les intelligents !!!), tout est possible, tout
est faisable, tout est justifiable, tout est achetable (il
faut simplement trouver le prix).
Jamais ! Au grand jamais ! comme disait ma
Grand’mère. Tout n’est pas achetable. Tout ne peut
pas être dit non plus. « Bouch mangé tout mangé men
li pa palé tout pawòl » dit-on en Haïti. Cependant, en
ce moment, en ces moments de stress, de déception,
de rage contenue, tout pouvait être dit. « Mieux vaut
mourir incompris que passer sa vie à s’expliquer »
disait Shakespeare. Il va devoir continuer à le faire.
A s’expliquer. A expliquer son explication.
dire, ne rien passer sous silence, voilà ce qui semblait
être l’objectif du point de presse. Complot. Trahison.
Crime de lèse patrie. Manigances et magouilles.
Incompétence. Trafic d’influences. Corruption en un
mot, de cette corruption qui modifie attitudes et
comportements, provoque des réactions mensongères
et mesquines, crée des justifications illégales ou
allégales et parasite complètement le système de
fonctionnement du pays. Tout a été dit soit
ouvertement, soit entre les lignes. Tout le monde
devrait pouvoir comprendre ce qu’il a dit et surtout
comment il l’a dit.
Suite à la lecture du discours, je n’ai pu
m’empêcher de téléphoner à quelques membres du
CRABE pour savoir ce qu’ils pensaient. J’ai pu voir
que je n’étais pas le seul à me poser un tas de questions
sur la compréhension, sur l’incompréhension, sur les
perceptions de la réalité haïtienne, sur la réalité d’Haïti,
sur les réalités en Haïti, sur le sort du pays, sur le futur
des Haïtiens.
Enfin, l’incompréhension, d’après les
« définisseurs », est l’incapacité d’être compris ou bien
de comprendre, de comprendre les choses, de
comprendre les autres. L’incompréhension peut être
aussi de l’insensibilité ou de l’indifférence. En y
pensant, je revis une situation vécue cela fait quelques
années, durant une brève expérience en tant que
« Professionnel de l’éducation ». Mes professeurs, à
l’école et même à l’Université, disaient toujours, après
une explication, après un cours, « me comprenezvous
? ». Ils voulaient être compris sans réaliser parfois
un véritable effort pour s’expliquer. Si l’élève
(l’étudiant, l’individu) auquel ils s’adressaient, ne
comprenait pas c’était simplement parce qu’il était
« bête ». « Nèg sòt ». « Tèt di ». « Bouki ». Vu que
nous reproduisons toujours les comportements vécus
comme des modèles fixes, je ne pouvais échapper à
cette logique et, face à une classe, je reprenais les
mêmes attitudes, je développais les mêmes réflexes.
Un jour, essayant un cours en tandem, à deux dans
une même salle face à une même classe, mon collègue
s’adressa aux étudiants, suite à son intervention, et
leur demanda « me suis-je expliqué ?»
Moi, j’avais expliqué et, la conclusion
logique aurait dû être, d’après moi, la compréhension.
C’était l’époque où l’on se sentait rempli de soi,
l’époque où cette suffisance nous transformait en
« vainqueurs », l’époque où l’incompréhension des
autres indiquait leur « handicap mental » et cela,
d’après nous, nous plaçait au-dessus d’eux. Nous
étions au-dessus du doute, au-dessus des reproches,
au-dessus de l’erreur. On croyait n’avoir de compte à
rendre à personne. Mon collègue par contre, voulait
s’assurer qu’il avait bien transmis ce qu’il avait à
transmettre et faisait comprendre qu’il voulait être
compris et qu’il voulait éviter toute mésinterprétation
de son message.
On ne peut pas vouloir être compris alors
que l’on ne se donne pas la peine de bien expliquer.
Ça, je le compris alors. Je compris le poids de
l’incompréhension. Pour faciliter la compréhension
je vous propose une petite liste de questions qui
prétendent alimenter la réflexion :
Sommes-nous compris par les autres?
Comprennent-ils les actions et les réactions
qui se produisent chez nous ?
Comprenons-nous, nous-mêmes, la portée de
nos actions ?
Avons-nous une crise de compréhension
dans ce pays ?
Sont-ce les « cerveaux » qui manquent,
comme disent certains ?
Enfin, notre cher petit pays va-t-il pouvoir
changer ?
Ce pays sans cesse menacé d’effacement, qui
ne finit pas de se faire, de se défaire, de se refaire,
aura-t-il enfin une opportunité pour se transformer ?
Malgré ce présent en feu, malgré ce temps
de tourments, pourra-t-on trouver la voie de
l’apaisement social, politique, économique ?
Notre petit pays pourra-t-il être à nouveau la
« Perle des Antilles » ?
Me suis-je expliqué ?
Oscar Germain
germanor2005@yahoo.fr
Mai 2008
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